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La Sorcière de Ronces
Montpardie, 1783.
À treize ans, Myriam n’a qu’une hâte : suivre les traces de sa mère et devenir apprentie sorcière.
Forêts enchanteresses, rituels, vol sur balai et sortilèges… Voilà qui changerait de son petit village, coincé dans les montagnes !
Hélas, la communauté sorcière, loin de l’idéal fantasmé, semble sur le point de s’effondrer. Les tensions entre les sorcières et le reste de la population empoisonnent l'air.
Pire, une menace terrifiante se tapit dans l’ombre. Guettant son heure.
Mais Myriam n'est qu'une jeune fille, qui a déjà ses propres démons à affronter…
CHAPITRE 1
Le village de Ronces se situait en bas d’une chaîne de montagnes du même nom, réputée si dangereuse qu’aucune route commerciale n’avait pu y être construite. Les Ronçois se plaisaient à raconter que la nature pouvait sentir la peur, et que les sentiers se dérobaient sous les pieds des moins courageux.
Loin de l’aura mystérieuse que l’on aimait lui prêter, le petit village était surtout bien isolé. En cette chaude journée de septembre, le tonnerre grondait au loin. Son écho était si courant que Myriam ne l’entendait même plus. Ses mains gantées plongées dans l’eau froide, elle nettoyait son linge à la fontaine des lavandières.
— J’y pense, c’est ton anniversaire aujourd’hui ! Tu as officiellement treize ans ! se rappela madame Rousset en savonnant une tunique.
Tout le monde autour du bassin félicita Myriam. Celle-ci sourit de toutes ses dents, les joues rougies par cette soudaine attention.
— C’est le grand jour, non ? s’exclama le fils du cordonnier. Tu vas pouvoir passer les tests ?
Son cœur s’emballa à cette pensée. Après avoir soufflé leurs treize bougies, les filles du village tentaient leur chance auprès de Louise, sa mère adoptive. Jusque-là, toutes étaient revenues bredouilles, mais heureuses d’avoir essayé.
Myriam trépignait d’impatience à l’idée d’être la prochaine.
— J’espère les passer ce soir, reconnut-elle.
— S’il y en a une qui y arrivera, c’est bien toi, assura l’une des lavandières.
Elle aurait tant aimé qu’ils aient raison. Seulement voilà, elle ignorait quelle épreuve l’attendait. Personne n’en parlait, et surtout pas sa mère.
— Allons, ne lui mettez pas la pression ! gronda madame Rousset. Passe à la boulangerie quand tu as fini, on a quelque chose pour toi !
Myriam la remercia, étendit le linge sur les cordes ensoleillées, et se rendit à l’unique boulangerie de Ronces. Son regard se promena sur les ruelles biscornues. Ici, les maisons étaient construites de la même façon : des murs en pierres ocre, extraites des montages, et un toit en tuiles orangées. Les volets et les plantes offraient des touches bleues, vertes et violettes à ce paysage pittoresque.
Ainsi nimbée de lumière, Ronces lui parut plus belle qu’à l’accoutumée. Une forte odeur de pain chaud embaumait l’air au coin de la rue et Myriam entra dans la boulangerie des Rousset, le ventre grondant avec appétit.
— Ah, Myriam ! la salua le vendeur. Tu tombes bien, ton gâteau d’anniversaire sort du four ! Bonne fête !
— Merci m’sieur. J’ai aussi quelque chose pour vous, enfin, pour votre bout de chou.
Myriam extirpa une fiole de sa bourse en cuir, qu’elle tendit à monsieur Rousset.
— Ce soir, versez une goutte dans l’eau portée à ébullition. Retirez le chaudron du feu et trempez-y le doudou de Béa toute la nuit. Attendez que ce soit sec et voilà : en faisant ses dents sur sa peluche, elle ne devrait plus avoir mal.
— Merci Myriam. Depuis quelque temps, on ne dort plus à la maison ! reconnut le jeune père. Vraiment, je ne sais pas ce qu’on ferait sans notre chère Louise… Tu dois être impatiente de suivre ses traces. Où vas-tu faire ton apprentissage ?
— Euh, je n’y ai pas trop réfléchi, avoua-t-elle.
Tous semblaient avoir fait le deuil de Myriam avant même son départ. Nerveusement, elle mâchonna le bout de ses gants qu’elle ne quittait jamais.
— T’inquiète donc pas, la rassura le boulanger. Tout le monde s’en va à un moment ou un autre. Peu reviennent, le travail manque...
— Ce n’est pas encore sûr que j’y arrive.
Leur conversation fut écourtée par l’arrivée d’un nouveau client et Myriam rentra chez elle, son paquet dans les bras.
Il n’y avait pas de médecin à Ronces. Le premier village voisin se trouvait à une journée de marche et n’en avait pas non plus. Quand Louise Marais s’était installée là, tout le monde l’avait considérée avec méfiance : aucune habitante de Lazarre, la capitale, ne venait se perdre dans un coin paumé comme celui-là. Mais Louise avait su se rendre indispensable grâce à ses compétences en soins. Elle concoctait toutes sortes de remèdes en se débrouillant avec ce qu’elle avait sous la main.
Les cloches sonnèrent midi lorsque Myriam regagna la maison. Chaudrons, bols et flacons séchaient dans l’herbe. Elle s’efforça de les contourner sans écraser les plantes aromatiques.
— Je suis rentrée !
Silence. Myriam traversa le couloir étroit, esquiva les paniers, chaussures et autres bric-à-brac qui traînaient. À peine était-elle entrée dans la cuisine qu’une forte odeur de thym emplit ses narines. L’adolescente posa le gâteau sur la table et remua le ragoût qui frémissait sur le feu. Quand la cuillère accrocha au fond, elle soupira.
Le repas serait, encore, un poil carbonisé.
Myriam retira le chaudron de la cuisinière à bois, en poussant du coude les pots d’épices qui encombraient le plan de travail. Elle entreprit ensuite de ranger le bazar laissé par sa mère. Saladiers, couverts et planche à découper finirent dans le sceau. Les restes de légumes furent donnés aux poules dans l’arrière-cour. Myriam récupérait les baies de poivre renversées quand le sol se mit à vibrer.
— Non, non, c’est pas vrai ! Et merde ! s’exclama une voix étouffée.
Myriam lâcha un rire silencieux. Le trou d’aération, juste en dessous de la fenêtre, laissa échapper d’épaisses volutes pourpres. Une minute plus tard, les marches de l’escalier menant à la cave grincèrent. Un tac tac tac qu’elle connaissait par cœur sonna contre le plancher. Myriam installait la table quand la porte de la cuisine claqua.
— Fais chier, j’ai oublié le... Ma puce ! Tu es rentrée !
— Bonjour Maman, salua Myriam, goguenarde.
— Pardon pour les injures, je ne t’avais pas vue… Ah, merci d’avoir rangé, t’es la meilleure !
De façon plutôt comique, Louise Marais ne ressemblait en aucun cas à Myriam. La peau pâle parsemée de taches de rousseur de Louise contrastait avec le teint hâlé de sa fille. L’adolescente dégingandée la dépassait déjà d’une tête. Ce qui n’était pas bien dur, Louise mesurant moins d’un mètre soixante. Sa mère assurait qu’elle avait perdu cinq centimètres, le jour où on lui avait posé sa jambe de bois. Leur seul point commun : leurs longs cheveux bouclés, carotte pour Louise et noisette pour Myriam, qu’elles passaient un temps fou à discipliner.
— Ma recette pour dompter nos tignasses s’est avérée explosive, raconta Louise. Dommage, j’espérais…
— Me l’offrir pour mon anniversaire ? compléta sa fille.
Myriam bondissait presque sur sa chaise en parlant. Louise remarqua le gâteau posé sur le plan de travail et sourit.
— Tu es devenue trop grande pour les surprises, n’est-ce pas ?
— Treize ans, c’est pas rien ! répondit Myriam en insistant lourdement sur son âge.
— Eh bien heureusement, j’ai prévu un cadeau de secours, révéla Louise qui sortit d’une poche de sa robe un bel étui en cuir.
Le cœur de Myriam rata un battement. Les tests allaient-ils déjà commencer ? Dire qu’elle attendait ce jour depuis des mois ! Fébrile, elle observa l’étui puis s’en saisit avec précaution.
— Est-ce que je peux l’ouvrir ? demanda-t-elle, soudain gênée.
— C’est pour toi, bien sûr que tu peux !
Plus le temps de reculer. Et puis, elle ne voulait pas reculer, au contraire ! Elle voulait savoir. Myriam retourna l’étui dans tous les sens avant de l’ouvrir.
— Un couteau ? s’exclama-t-elle, surprise.
— Bon anniversaire, ma puce ! Toi qui passes toutes tes journées en forêt, je me suis dit que tu étais bien assez grande pour en avoir un. Attention, ce n’est pas un jouet, il est très aiguisé.
La lame possédait des reflets étonnants, semblables à des vaguelettes. De minces fils de laiton ornaient le manche. Il avait sûrement coûté une fortune.
— Le métal est en damas, une technique de forge qui… Tout va bien, ma puce ?
— Oui. Oui ! Il me sera très utile, j’aime beaucoup les décorations.
— Mais ? insista Louise, suspicieuse.
— Mais euh… Rien. Je ne m’y attendais pas, c’est tout, bafouilla Myriam. Merci Maman.
Mère et fille mangèrent le ragoût en plaisantant sur les expériences désastreuses de Louise. Vint ensuite le dessert : une tarte aux mirabelles, la préférée de Myriam. Au fur et à mesure, l’adolescente se convainquit que tout allait bien : personne ne passerait ce genre d’épreuve avant de déjeuner. Non, cela arriverait sûrement après le repas. Voire le soir. La lune jouait apparemment un rôle important. Malgré tout, tandis qu’elle préparait le thé, Myriam finit par craquer :
— Maintenant que j’ai treize ans, quand est-ce que je peux passer les tests d’affinité ?
Elle revint à table, versa — sans trembler ! — le breuvage dans les tasses avant de croiser le regard de sa mère. Louise la fixait avec l’air perdu de celle qui ne savait pas quoi dire.
— Maman ?
— Euh, oui ?
— Toutes les filles de mon âge le font avec toi. Qu’est-ce qui ne va pas ?
Après une brève hésitation, Louise posa tendrement sa main sur la sienne.
— … Ma puce, une sorcière pratique la magie de sa main dominante. À cause de la marque que tu as sur la tienne… J’ai peur que ce soit dangereux pour ta santé.
Myriam ramena son bras contre son corps, la bouche sèche et ses doigts moites dans ses gants en cuir. Pour se redonner contenance, elle prit une longue gorgée de thé et grimaça en se brûlant le palais.
— Peut-être que la marque n’a rien à voir avec la magie, répondit enfin Myriam. J’aimerais au moins passer les tests, pour savoir si je peux en être une. Ce qui n’est même pas sûr étant donné que les sorcières représentent, quoi, 10 % de la population ?
— 5 % en fait, corrigea doucement Louise.
— Voilà. J’ai toujours cru que, enfin… Que je ferai comme toi quand je serai grande.
Enfant, Myriam observait à longueur de journée Louise préparer ses potions. Elle s’était mise au fil des années à l’assister : en coupant les ingrédients, en surveillant le feu ou en délivrant ses commandes. Si bien que devenir une sorcière lui était apparue comme une évidence.
— Ce n’est pas la clé du bonheur, insista Louise. 95 % de la population n’a pas de pouvoir et le supporte très bien. Tu as toute la vie devant toi pour...
— Mais on pourrait au moins essayer ? l’interrompit Myriam. Comme ça, si j’échoue, je n’aurais pas de regret !
— Ma puce, le risque n’en vaut pas la peine. Aujourd’hui, la marque n’affecte que le bout de tes doigts, mais si ça venait à se propager… Ça pourrait avoir des conséquences désastreuses.
— Mais…
Les mots se coincèrent dans sa gorge tandis que son esprit cherchait désespérément de quoi convaincre Louise.
— J’ai besoin de réfléchir, balbutia-t-elle.
Sans attendre de réponse, Myriam se leva et se précipita dans sa chambre. Elle claqua la porte, se prit la tête entre ses mains et inspira un grand coup. Aucun tac tac tac qui suivait les pas de sa mère ne se fit entendre.
Depuis qu’elle avait cinq ans, Myriam portait des gants en public. Les gens posaient trop de questions sur l’état de ses doigts. Ils ne comprenaient pas pourquoi ses ongles étaient tombés et sa peau assombrie. Certains pensaient qu’elle était maudite. Elle se souvenait des batteries de tests que Louise avait effectuées pour trouver ce qu’elle avait.
En vain.
Mais elle allait bien. Elle se sentait bien. Ce n’était qu’une simple coloration de l’épiderme, pas de quoi s’inquiéter.
Lentement, Myriam retira son gant droit et l’éleva devant son visage.
Avec le temps, elle avait pris l’habitude de porter ses gants en permanence, même en présence de sa mère.
Elle observa sa main tremblante, devenue noire jusqu’au poignet.
— Comment est-ce que je vais pouvoir lui dire ?
A suivre...
Roman bientôt disponible !
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